La santé sexuelle et reproductive des adolescentes et jeunes femmes en Côte-d’Ivoire
Contexte
À l’instar d’autres pays du monde, l’égalité entre les femmes et les hommes en Côte-d’Ivoire[1] demeure un sujet préoccupant. Dans cette société où les rapports de pouvoir sont en faveur des hommes, les familles font notamment pression sur les adolescentes pour qu’elles se marient et aient des enfants très jeunes.
Dans la région du Haut-Sassandra où cette pratique est très forte, les adolescentes et les jeunes femmes sont reconnues pour être moins scolarisées que les garçons. Elles reçoivent ainsi peu d’informations sur leurs droits en matière d’accès à la planification familiale et sur les autres soins de santé dont elles pourraient bénéficier[2]. Ces conditions dans lesquelles elles évoluent fragilisent leur santé sexuelle et reproductive, c’est-à-dire leur capacité à mener une vie sexuelle saine et sécuritaire et à donner naissance dans des conditions qui le sont tout autant. Malgré des campagnes de sensibilisation et des interventions menées dans les dernières années par les autorités visant à améliorer la santé sexuelle et reproductive des femmes[3], des inégalités de genre perdurent.
Entre 2019 et 2021, diverses consultations et enquêtes ont permis d’identifier des priorités pour le financement et la mise en œuvre du Projet d’Appui à des Services de Santé Adaptés au Genre et à l’Équité (PASSAGE) mené par la coopérative de services de développement et d’échanges en éducation Éducation Internationale. PASSAGE adopte une approche globale de promotion de la santé et vise à rassembler les acteurs de l’éducation, de la santé et de la société civile pour favoriser une jouissance accrue des droits de la personne relatifs à la santé sexuelle et reproductive (SDSR) par les adolescentes et jeunes femmes (a/jf) dans la région du Haut-Sassandra en Côte d’Ivoire.
Le projet inclut une enquête longitudinale, soit une démarche qui consiste à interroger les mêmes personnes à plusieurs reprises dans le temps. Cette dernière est menée par une équipe scientifique multisectorielle de l’Université Laval rassemblant Jean Ramdé et Abdoulaye Anne, chercheurs à la Faculté des sciences de l’éducation, ainsi que Maman Joyce Dogba et Souleymane Diabaté, respectivement chercheuse et chercheur à la Faculté de médecine, qui ont travaillé de concert avec les partenaires de la Côte d’Ivoire ayant participé à la collecte de données.
Objectifs de la première enquête
- Décrire les besoins, les intérêts, les capacités et les droits en matière de santé sexuelle et reproductive des jeunes
- Identifier les besoins de formation du personnel en santé
- Identifier les besoins de formation et d’accompagnement du personnel scolaire en ce qui a trait à l’éducation sexuelle des adolescentes et adolescents
Réalisation de la recherche
Pour répondre aux objectifs du projet, l’équipe a recruté et formé un groupe de 35 agentes et agents de promotion de la santé dans trois localités de la région du Haut-Sassandra. Ces agentes et agents ont colligé les données et participé à la sensibilisation des leaders de la Côte-d’Ivoire.
Les données ont été recueillies à l’aide de questionnaires autorapportés (via la plateforme KOBO) et d’entrevues individuelles et de groupe auprès de l’ensemble des personnes ayant le pouvoir d’intervenir sur la santé sexuelle et reproductive des adolescentes et des jeunes femmes, de façon à couvrir tous les points de vue possibles: les adolescentes et adolescents, les jeunes et leurs parents, les professionnelles et professionnels de la santé, le personnel scolaire, le personnel des organisations de la société civile, ainsi que les autorités locales de la région du Haut-Sassandra.
À la suite de l’analyse des données de la première enquête, différents constats ont été émis et plusieurs interventions ont été conçues et mises en oeuvre pour prévenir les droits et la santé sexuelle et reproductive. Une deuxième enquête en 2025-2026 et une troisième en 2026-2027 permettront de vérifier si les interventions ont entraîné des effets favorables chez les adolescentes, les adolescents et les jeunes et si ces effets perdurent dans le temps.
Thématiques abordées pour identifier des leviers d’intervention dans la communauté:
- La santé et les droits sexuels et reproductifs
- Les politiques, normes et procédures en matière de santé de la reproduction
- La prise en compte des besoins des jeunes femmes et des filles
- Le niveau d’aptitude à réaliser des services de SDSR
- La formation reçue et le besoin de formation
- Les violences basées sur le genre et le harcèlement
- La gestion et la qualité de l’encadrement pédagogique et clinique y compris les aspects sécuritaires
- Les principaux enjeux liés à la SDSR des adolescentes et adolescents dans la région
- Les barrières à l’accès à l’information et aux services de SDSR
- Les opinions sur le libre choix des adolescentes et adolescents en matière de santé sexuelle et vie sexuelle (10 à 24 ans)
Quelques résultats saillants
Les analyses des résultats de la première enquête ont permis de faire un état de la situation en matière de santé sexuelle et reproductive auprès d’un échantillon représentatif des personnes interrogées.
Concernant les adolescentes et adolescents et les jeunes de 10 à 24 ans de la région du Haut-Sassandra, trois résultats importants ont été relevés:
- 22% des jeunes non scolarisés ont des rapports sexuels en échange d’argent ou de services, alors que chez les jeunes scolarisés, cette proportion est de 12%.
- La grande majorité des jeunes n’ont pas accès aux informations sur la planification familiale (70%), ce qui se traduit par une très faible proportion de jeunes ayant recours à une méthode contraceptive (18%). On compte d’ailleurs une proportion élevée de grossesses non planifiées (55%), d’avortements clandestins (22%) et de demandes d’avortement de la part des partenaires dont l’arrêt de grossesse a eu lieu (32%).
- Une proportion considérable de jeunes, particulièrement les adolescentes et adolescents de moins de 15 ans (52%) et les jeunes vivant en milieu rural (49%), ressentent de la honte et ont des craintes lorsqu’ils se rendent dans un centre de santé pour obtenir des soins en lien avec leur santé sexuelle et reproductive.
Concernant le personnel en santé (infirmières, infirmiers et sages-femmes):
Les connaissances du personnel de santé, notamment à l’égard des qualités et attitudes favorables aux soins en santé sexuelle et reproductive, sont adéquates. Or, une proportion élevée de ce personnel relate que la formation reçue ne fournit pas une préparation suffisante pour accueillir les demandes et dispenser des services qui répondent véritablement aux besoins des adolescentes et des jeunes femmes.
Les difficultés rencontrées par ce personnel sont d’ordre matériel (absence de plateaux techniques adéquats et de services et unités appropriés) et concernent la formation (non-maitrise de la prise en charge des victimes ou de protocoles de dépistage ex. du cancer du col de l’utérus).
Concernant le personnel scolaire (direction d’établissement et personnel enseignant):
Des membres du personnel témoignent de la subsistance de tabous entourant les droits en matière de santé sexuelle et reproductive, logique qui devrait, selon des participants et participantes, disparaitre au profit d’une meilleure communication.
Par ailleurs, une proportion élevée de leaders communautaires (67%) et de parents (55%) soutiennent que les adolescentes et les jeunes femmes ne doivent pas faire des choix libres en matière de santé sexuelle et reproductive, cela laissant croire qu’elles sont incapables de prendre de telles décisions.
Mobilisation des connaissances: interventions menées:
L’équipe a mené plusieurs interventions pour soutenir la prévention des droits des adolescentes et des jeunes femmes auprès des populations interrogées. Par exemple, pour soutenir l’information sur la planification familiale et la gestion des grossesses au sein du système scolaire, l’équipe a formé les membres du personnel scolaire. Le personnel de santé a également reçu une formation pour mieux accueillir les besoins des adolescentes et des jeunes femmes et pour soutenir les personnes ayant vécu des traumas complexes comme des abus sexuels.
Afin de sensibiliser et d’initier un changement de croyances et de comportements auprès de la communauté, plusieurs activités de sensibilisation de masse ont été réalisées par les partenaires ivoiriens, dont la projection d’un film portant sur les droits sexuels et reproductifs qui a rassemblé un nombre impressionnant de membres de la communauté.
Les effets des interventions réalisées pourront être appréhendés à l’issue du projet, lorsque les résultats de la dernière enquête auprès des adolescentes et adolescents et des jeunes seront connus.

Pour en savoir davantage:
Objectifs et méthodologie
Résultats des enquêtes
Équipe
Direction et coordination du projet
Partenaires au Canada
- Université Laval
- Fédération des cégeps
- Cégep de St-Jérôme
- Collaboration santé internationale
- Réseau francophone international pour la promotion de la santé
Partenaires en Côte-d’Ivoire
- Association ivoirienne pour le bien-être familial
- ONG Mission des jeunes pour l’éducation, la santé, la solidarité et l’inclusion
- Association ivoirienne des professionnels de santé publique
- Institut national de formation des agents de santé
Financement
Ce projet est réalisé grâce au financement d’Affaires mondiales Canada
Pour citer cet article
Boulet, J., Ramdé, J., Anne, A., Dogba, M.J., Diabaté, S. (2025). La santé sexuelle et reproductive des adolescentes et jeunes femmes en Côte-d’Ivoire. Savoirs en action. https://savoirsenaction.fse.ulaval.ca/lumiere-sur-la-science/la-sante-sexuelle-et-reproductive-des-adolescentes-et-jeunes-femmes-en-cote-divoire/
[1] Délégation de l’Union européenne en République de Côte d’Ivoire (2017). Pour une analyse sur l’égalité de genre en Côte-d’Ivoire. Ministère de la Femme, de la Protection de l’enfant et de la Solidarité. https://www.famille.gouv.ci/Tmffe/RAPPORT-ETUDE-POUR-UNE-ANALYSE-GENRE-EN-CI-VERSION-28052018-DPAF.pdf
[2] Ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida (2016). Plan stratégique national de la santé des adolescents et des jeunes 2016-2020. https://www.prb.org/wp-content/uploads/2018/05/Plan-Strate%CC%81gique-National-de-la-Sante%CC%81-des-Adolescents-et-des-Jeunes-2016-2020.-Co%CC%82te-d%E2%80%99Ivoire.pdf
[3] Organisation mondiale de la santé Côte d’Ivoire (2023). Rapport biennal 2022-2023 : actions pour un système de santé résilient post-Covid-19. https://www.afro.who.int/sites/default/files/2024-10/CI_Rapport%20biennal%202022-2023.pdf
