Le développement et l’évaluation d’un dispositif de prévention des situations de travail à risque pour la santé mentale du personnel enseignant: une recherche-intervention
La santé mentale en milieu scolaire
Le personnel scolaire évolue dans un environnement professionnel au sein duquel se présentent plusieurs risques psychosociaux au travail. Ceux-ci représentent des facteurs qui « […] augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des personnes exposées »1.
Dans le travail quotidien du personnel scolaire, les risques psychosociaux se manifestent dans ce qu’on peut définir comme des situations de travail à risque pour la santé mentale, c’est-à-dire des situations concrètes où le travail génère un mal-être significatif pour la personne qui le vit (exemple: sentiment d’impuissance, émotions pénibles, manifestations corporelles), par exemple des conflits ou une surcharge de rôles.
Portraits des risques psychosociaux en milieu scolaire2

Les résultats en bref
Cette infographie présente un portrait succinct des retombées du dispositif de prévention en santé mentale en milieu scolaire. Pour obtenir un portrait plus détaillé des résultats, consultez la section Résultats de cet article.
Avec la présence accrue de risques psychosociaux en milieu scolaire, la santé mentale au travail des enseignantes et enseignante se fragilise. Une étude récente de l’Institut national de santé publique du Québec démontre que plus de 60% d’entre eux et elles éprouvaient de la détresse psychologique élevée ou très élevée un mois précédant l’enquête3. Sur le plan de l’épuisement vécu au travail, ce seraient 60% des enseignantes et enseignants qui ressentiraient des symptômes d’épuisement au moins une fois par mois et 20% qui en vivraient au moins une fois par semaine4.
Plusieurs recherches démontrent que les stratégies individuelles d’adaptation sont insuffisantes, voire contre-productives sur le plan de la santé mentale puisqu’elles participent au maintien des conditions d’exercice à la source de la souffrance vécue, voire à leur détérioration5. Il s’avère donc essentiel de trouver un moyen permettant au personnel enseignant de reprendre du pouvoir sur son travail et d’agir en prévention primaire sur les sources des situations de travail à risque. Ce projet vise à répondre à cet objectif en développant un dispositif qui permet d’intervenir sur les situations de travail affectant négativement la santé mentale du personnel enseignant en l’expérimentant au sein de douze établissements scolaires et en analysant ses retombées.
Implantation du dispositif de prévention en santé mentale
Le dispositif de prévention des problèmes de santé mentale du personnel enseignant, désormais nommé DÉCOLLONS pour «Démarche collaborative sur l’organisation et la santé au travail », repose sur la participation d’un comité de pilotage, formé au sein des établissements scolaires et chargé d’identifier, d’analyser et de corriger les situations de travail à risque. Celui-ci est formé de quatre à six représentantes et représentants du personnel enseignant et de la direction d’établissement ayant préalablement été formés à l’approche permettant de documenter les situations de travail à risque pour la santé mentale observées ou rapportées par leurs pairs. Également, la formation permettait aux représentantes et représentants appelés référents-métier de s’approprier des moyens pour documenter les situations de travail à risque via divers moyens (exemple: entretiens individuels et collectifs, photovoix) et de réfléchir collectivement à des pistes d’action à mettre en oeuvre.
Lors de la première année de mise en place du dispositif, une personne accompagnatrice impartiale provenant de l’équipe de recherche s’est jointe au groupe afin de favoriser le déroulement des rencontres du comité. Environ une fois par mois, les référants-métier se rencontraient en comité avec la direction d’établissement afin de partager les situations de travail à risque qu’ils et elles ont documentées et de réfléchir à des moyens de réduire l’amplitude des problèmes vécus par le corps enseignant de l’école. Des pistes d’action étaient ensuite identifiées par le comité pour intervenir sur les situations rapportées par le personnel enseignant. Une fois mises en place, celles-ci étaient ensuite communiquées au personnel afin de discuter des améliorations apportées.
Réalisation de la recherche-intervention
Dans un premier temps, le projet avait pour objectif d’engager le personnel enseignant et la direction d’école, avec le soutien d’un tiers impartial, dans la démarche collaborative permettant d’analyser et d’agir sur les situations qui représentent des risques pour la santé mentale dans le travail quotidien.
Par la suite, une étude de cas multiples a été menée afin qu’une analyse de l’implantation6 et des retombées du dispositif soit réalisée au sein des 12 établissements, dont six écoles primaires, quatre écoles secondaires, un centre de formation professionnelle et une école spécialisée. Différents moyens pour recueillir des données nécessaires à l’analyse auprès des participantes et participants ont été utilisés, notamment des transcriptions de rencontres du comité de pilotage, de bandes vidéo et audios des rencontres du comité de pilotage, des journaux de bord complétés et des questionnaires. Ces données ont été recueillies à divers moments au cours d’une année scolaire lors de l’expérimentation du dispositif.
Retombées du dispositif DÉCOLLONS au sein des écoles participantes
Résultats sur la santé mentale du personnel enseignant
- Le développement d’une dynamique empathique dans les relations entre les enseignantes et enseignants, de même qu’entre les référents-métier et la direction.
- La démonstration d’une écoute qui renforce la collaboration entre les membres du comité et plus largement, au sein de l’établissement. L’écoute a permis aux participants de se sentir compris et validés.
- La solidarité et la coopération créée par l’existence même du comité se sont manifestées dans des activités d’échanges entre les enseignants et enseignantes et par le partage de connaissances et d’outils.
- La confiance des référents-métier à l’égard de leur rôle ainsi que la confiance du personnel enseignant à l’égard du comité a facilité, au sein de plusieurs milieux, la mobilisation des enseignantes et enseignants à l’égard des activités mises en place dans le cadre du dispositif.
- L’ouverture et l’engagement dont ont fait preuve plusieurs directions d’établissement témoignaient de leur reconnaissance du travail du comité et a renforcé la volonté des référents-métier de s’engager dans le comité.
- Les membres du comité ont développé leur capacité à prendre conscience des besoins et des enjeux du personnel de l’école qui a pu, dans certains cas, faire évoluer leur posture et leur compréhension de la réalité de l’ensemble des actrices et acteurs au sein de l’école.
Résultats touchant l’organisation du travail du personnel enseignant
Par le biais du dispositif DÉCOLLONS, différentes améliorations ont été apportées directement dans le travail du personnel enseignant, agissant sur des contraintes rapportées au sein des comités. Par exemple
- L’attribution stratégique de ressources supplémentaires pour pallier des périodes de pointe dans la correction, par exemple, ou une réorganisation des ressources pour pallier la lourdeur du travail vécue par les enseignantes et enseignants.
- Le développement d’outils comme un guide de ressources pour familiariser le personnel, notamment les nouveaux enseignants et nouvelles enseignantes, avec les ressources et les procédures au sein de l’école.
- Un espace de discussion pour définir des attentes claires pour l’évaluation des élèves par les enseignantes et enseignants de français et ceux qui interviennent en francisation.
- La création d’un comité d’embellissement de l’école ou l’aménagement d’un local de détente et bien-être dédié au personnel enseignant, en vue d’améliorer le climat scolaire et la qualité de vie au travail.
Recommandations aux milieux scolaires
L’expérimentation de DÉCOLLONS a engendré des résultats prometteurs pour la prévention en santé mentale auprès du personnel enseignant, d’autant plus qu’il peut être implanté pour répondre aux nouvelles exigences en matière de protection de la santé et de la sécurité du travail imposées aux organisations dans le cadre de la Loi 27 (ajout des risques psychosociaux aux exigences en matière de prévention des risques liés au travail, CNESST). Pour favoriser son déploiement et son succès, des éléments doivent être considérés, notamment :
- Les membres des comités doivent être formés et préparés avant et au moment du démarrage du dispositif.
- Une personne accompagnatrice externe, impartiale et formée à l’approche sous-jacente au dispositif doit être impliquée pour faciliter l’établissement d’échanges constructifs sur les situations de travail abordées en comité.
- L’établissement doit être prêt à investir du temps les ressources nécessaires pour mettre en œuvre le dispositif et assurer son bon fonctionnement
- L’engagement collectif envers les fondements et les visées de la démarche du personnel de l’établissement et de la direction est déterminant pour soutenir la mise en œuvre du dispositif
- La disposition de la direction et des représentants syndicaux à adopter un mode de fonctionnement horizontal contribue fortement au succès de la démarche
Partenaires
Ce projet de recherche-intervention a été réalisé grâce au partenariat établi entre une équipe de chercheurs et de chercheuses, la Fédération autonome de l’enseignement et le Comité patronal de négociation pour les centres de services scolaires francophones.
Quelle est la suite de DÉCOLLONS?
À l’automne 2025, le dispositif DÉCOLLONS sera offert à plus grande échelle à d’autres écoles des centres de services scolaires associés à la Fédération autonome de l’enseignement. À cette étape de déploiement, d’autres personnels scolaires (personnel de soutien, technique et professionnel) seront invités à joindre le comité de pilotage et recevrons la formation. Le dispositif permettra d’analyser plus largement les situations de travail à risque de l’ensemble du personnel de l’école.
En savoir plus sur cette nouvelle étape
Contactez l’équipe responsable du projet DÉCOLLONS à l’adresse: decollons@fse.ulaval.ca
Équipe de recherche
- Simon Viviers, Université Laval
- Imane Lahrizi, Université Laval
- Mariève Pelletier, Université Laval
- Patricia Dionne, Université de Sherbrooke
- David Benoit, Université du Québec en Outaouais
- Emmanuel Poirel, Université de Montréal
- Frédéric Yvon, Université de Montréal
- Frédéric Saussez, Université de Sherbrooke
Ressources
- Risques psychosociaux du travail | Institut national de santé publique du Québec ↩︎
- Pelletier. M., Lafantaisie, M., Sylvain-Morneau, J., Jauvin, N., Viviers, S., Chevrier, A.-A. et Vézina, M. (2025). Étude menée auprès du personnel scolaire du Québec sur l’état de santé mentale et l’exposition aux risques psychosociaux du travail. Institut national de santé public du Québec. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3613-sante-mentale-risques-psychosociaux-travail-enseignement-public.pdf ↩︎
- Pelletier. M., Lafantaisie, M., Sylvain-Morneau, J., Jauvin, N., Viviers, S., Chevrier, A.-A. et Vézina, M. (2025). Étude menée auprès du personnel scolaire du Québec sur l’état de santé mentale et l’exposition aux risques psychosociaux du travail. Institut national de santé public du Québec. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3613-sante-mentale-risques-psychosociaux-travail-enseignement-public.pdf ↩︎
- Vlasie, D. (2021). Santé et bien-être du personnel enseignant : portrait de la situation et pistes de solutions, Études et recherches, Québec, Conseil supérieur de l’éducation. Santé et bien-être du personnel enseignant : portrait de la situation et pistes de solutions ↩︎
- Maranda, M.F., Viviers, S., et Deslauriers, J.-S. (2014). Prévenir les problèmes de santé mentale au travail : contributions d’une recherche-action en milieu scolaire. Québec : Presses de l’Université Laval, Collection « Trajectoires professionnelles et marché du travail contemporain ». ↩︎
- Nielsen, K., & Abildgaard, J. S. (2013). Organizational interventions: A research-based framework for the evaluation of both process and effects. Work & Stress: An International Journal of Work, Health & Organizations, 27(3), 278-297. https://doi.org/10.1080/02678373.2013.812358 ↩︎